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Qui a peur du clitoris ?

Qui a peur du clitoris ?

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© Gwladys Le Roy

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Par Lila Blumberg

Publié le

Pour Julia Pietri, il faut en parler dès l’enfance pour dédiaboliser cet organe encore méprisé.

Le clitoris a-t-il toujours fait peur ? Si on parle de lui nommément et ouvertement depuis peu, le clitoris n’est pourtant pas une découverte du XXIe siècle. Julia Pietri, militante féministe et créatrice du compte Instagram @gangduclito, est l’autrice du Petit Guide de la masturbation féminine et nous a donné, au cours d’un entretien, des éléments de réponse.

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On connaît le clitoris depuis la nuit des temps, et cette démonstration est bien malheureuse : l’excision, cette mutilation qui consiste en une ablation rituelle du clitoris et parfois des petites lèvres, existe depuis des milliers d’années – des momies excisées ont été découvertes par des égyptologues. Et ce phénomène sévit encore : selon un rapport de l’Unicef, au moins 200 millions de femmes ont été excisées dans le monde.

Alors, oui, le clitoris est connu depuis belle lurette, et même des scientifiques. En effet, en 1561, l’anatomiste (et prêtre catholique…) Gabriele Falloppio a revendiqué, sans mauvais jeu de mots, la paternité de la découverte de cet organe : “Ce pudendum est si petit si caché […] que je fus le premier à le découvrir.” S’il était connu, pourquoi l’avoir ignoré si longtemps ? Le clitoris suscite-t-il une “angoisse sexuelle” chez les hommes ?

Un organe invisibilisé par des sociétés patriarcales

Selon Julia Pietri, il existe une “hérésie du clitoris encore en 2021, en France”, et c’est une forme d’“excision mentale sur le traitement culturel, éducationnel, institutionnel et médical”. Le clitoris fait peur parce que cet organe uniquement dédié au plaisir féminin, c’est “la puissance du plaisir et de l’indépendance”. Or, nous le savons bien, une femme honnête ne doit pas prendre de plaisir et ne devrait donc pas jouir…

Le clitoris effraie également car “il ne va pas du tout avec l’image de la mère sacrificielle puisqu’il ne sert qu’au plaisir” et n’a aucune fonction dans la reproduction. En mutilant le clitoris, tout comme en l’invisibilisant, on essaie d’“éteindre la puissance des femmes. On nous l’enlève comme on nous enlève des droits pour essayer de nous dominer”, explique Julia Pietri.

Pourquoi le clitoris est-il un grand oublié de la médecine ?

Le pénis, bien connu de la recherche et de la médecine sexuelle, possède sans doute un atout que le clitoris n’a pas pour susciter l’intérêt de la science : il remplit, en plus de sa fonction liée au plaisir, une fonction reproductive. “Quand on parle de sexe, on ne parle pas de sexe politique. Or, c’est important, parce qu’il s’agit là de l’égalité des droits, de l’égalité des organes sexuels et ce qui en découle c’est la santé sexuelle.”

Il aura fallu attendre 2008 pour observer la première échographie du clitoris, réalisée par la gynécologue française Odile Buisson. “Même elle, quand elle a voulu lancer des recherches sur le clitoris, on lui riait au nez !”, retrace l’autrice. Et ce délaissement du clitoris par la médecine a eu des conséquences non négligeables, notamment concernant l’éducation sexuelle.

Selon le Rapport relatif à l’éducation et à la sexualité du Haut Conseil à l’égalité publié en 2016, une fille de 15 ans sur quatre ne sait pas qu’elle possède un clitoris. Il faudra attendre une dizaine d’années après la première échographie pour que, en 2017, l’anatomie exacte du clitoris soit représentée dans des manuels scolaires. Deux ans plus tard, cinq manuels supplémentaires évoquent le clitoris, mais il faut encore attendre le lycée pour pouvoir découvrir à quoi il ressemble.

© Julia Pietri

Il s’agit d’“un organe quasi interne qui fait partie du corps intérieur. On ne peut pas le découvrir nous-même. Si aujourd’hui on sait à quoi ressemble un cœur humain, c’est parce que des médecins ont fait des recherches, l’ont disséqué et représenté”, explique Julia Pietri.

Jouir sans pénétration : clitoris et pénis, c’est pareil ?

Nommer le clitoris et savoir qu’il existe permet aussi de comprendre “que les femmes n’ont pas qu’un vagin à disposition, pour être pénétrées par un pénis”. Le pénis et le clitoris sont des “organes érectiles qui vont tous les deux se gonfler de sang, avoir une érection et provoquer un orgasme”, rappelle l’autrice.

Parler du clitoris permet de montrer qu’une femme n’a pas besoin de pénétration pour jouir. “Ça casse tout le schéma phallocentré des codes sexuels : pénétration, éjaculation et c’est terminé.” Et c’est tant mieux, car il est grand temps de s’ouvrir à une réflexion pour des “pratiques plus égalitaires et moins sexistes” et d’en finir avec l’analphabétisme sexuel.

Mésestimer le clitoris, c’est perpétuer la culture du viol

C’est en se réappropriant leur corps, leur plaisir et leur clitoris que les femmes peuvent se battre pour le protéger. Si l’on apprend aux jeunes filles qu’elles n’ont rien entre les jambes, elles n’ont rien à protéger. Et pour savoir dire non, il faut savoir ce qui existe”, continue Julia Pietri.

Reconnaître au clitoris une valeur égale à celle du pénis pourrait également permettre une appréhension plus juste et plus large de la notion d’agression sexuelle. En droit français, le viol implique systématiquement une pénétration : Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol”, selon l’article 222-23 du Code pénal.

Pour autant, “pas de pénétration” ne veut pas dire “pas d’agression”. Non, le sexe d’une femme n’est pas qu’un vagin et toutes les “zones intimes” du sexe féminin devraient être connues pour être respectées.

Le mouvement #MeToo a permis une puissante prise de conscience. “On a appris qu’on pouvait oser dire non.” Et après la vague qui dit “non”, il y a la vague qui dit “oui” : “Les femmes ne sont pas des ennemis du plaisir et du sexe.” Alors “oui” au plaisir, au désir, aux découvertes et aux redécouvertes de nos corps, de nos sexes et de nos clitoris.

Éduquées comme des corps “violables”

“Tu vas voir, la première fois ça fait mal.” C’est une approche de la sexualité normalisée et ça fait entrer les femmes “dans le monde de la sexualité et du plaisir par la douleur”. Or, c’est une erreur parce que l’on a “pensé le sexe par la pénétration”. Mais il peut commencer par “le regard, les caresses, les frissons et l’extérieur du corps”.

Les femmes et les hommes se construisent avec l’idée d’un “sexe fort et dominant”, le pénis, là pour pénétrer “car pénétrer, c’est dominer”. C’est ce que le patriarcat intime aux hommes qui, rappelons-le, subissent eux aussi des injonctions sexistes.

Pour les femmes, il s’agit d’un “sexe pénétrable” qui va avec tout “l’imaginaire du sexe faible et vulnérable” : “On grandit avec l’idée que nous sommes des corps violables en puissance.”

Éduquer au sexe pour pouvoir consentir et se protéger

Si la science, la médecine, l’éducation nationale et la société en général s’inquiètent trop peu du clitoris et de l’apprentissage d’une sexualité bienveillante et consentie, Julia Pietri y consacre un deuxième ouvrage qui devrait voir le jour en juin prochain.

Le Petit Guide de la foufoune sexuelle est un livre d’éducation sexuelle qui parle de consentement et de sexe aux petites filles et aux petits garçons de 4 à 12 ans. Sans précéder les attentes de l’enfant, ce livre permet de poser des questions aux enfants qui pourront y répondre en fonction de leur âge et de leur maturité.

Pour permettre aux plus jeunes de conscientiser leur corps (intérieur et extérieur), l’autrice parle du sexe comme elle parle de l’estomac et invite les enfants à exprimer leurs émotions, à poser leurs questions pour les inciter à prendre la parole sans tabou. Elle explique : “Créer des outils pédagogiques comme exemples permet de rassurer les gens. Dans ce livre, il n’y a rien de ‘cracra’ ni de pornographique.”

Pour éditer son livre via sa maison d’édition Better Call Julia, l’autrice a lancé un financement participatif sur Ulule. Il est possible d’y contribuer jusqu’au 21 mars 2021 inclus et c’est par ici ! Alors, qui a encore peur du clitoris ?