AccueilSociété

Chez les athlètes de haut niveau, la parole se libère sur la santé mentale

Chez les athlètes de haut niveau, la parole se libère sur la santé mentale

Image :

© Loic VENANCE / AFP

avatar

Par Pauline Ferrari

Publié le

Suite au retrait de la gymnaste Simone Biles des JO de Tokyo, la question psychologique refait surface dans le milieu sportif.

C’est une décision qui a provoqué la surprise mardi dernier : la superstar de la gymnastique américaine Simone Biles, s’est retirée de la finale du concours général par équipes, expliquant devoir se concentrer sur sa santé mentale. La quadruple médaillée d’or à Rio a ainsi écrit sur Instagram avoir l’impression de porter “le poids du monde sur [ses] épaules”.

À voir aussi sur Konbini

Considérée comme la GOAT (Greatest of all times) de sa discipline, elle a expliqué lors d’une conférence de presse ressentir une forte pression psychologique : “Je n’ai plus autant confiance en moi qu’avant, je ne sais pas si c’est une question d’âge. Je suis un petit plus nerveuse quand je fais mon sport. J’ai l’impression que je ne prends plus autant de plaisir qu’avant”. Alors en lice dans six finales à Tokyo, elle a ajouté : “Dès que je monte sur le tapis, c’est juste moi et ma tête. […] Je dois faire ce qui est bon pour moi, me concentrer sur ma santé mentale et ne pas compromettre ma santé et mon bien-être”.

“Je ne minimiserai jamais la question de la santé mentale, ni ne l’évoquerai à la légère”

Une décision qui a provoqué énormément de réactions dans le milieu sportif et médiatique. Si de nombreux sportifs ont déclaré leur soutien à l’athlète, certains médias et commentateurs ont fortement critiqué la gymnaste. Ainsi, Charlie Kirk, activiste conservateur et soutien de Donald Trump, l’a qualifiée de “sociopathe égoïste”, et ajoutant que les États-Unis “élevaient une génération de personnes médiocres comme Simone Biles” considérée comme une “honte pour le pays”. De même, les gros titres de la presse sportive ont insisté sur les “fêlures mentales” de Simone Biles.

Une décision qui fait écho au retrait de la championne de tennis Naomi Osaka de Roland-Garros en mai dernier. La Japonaise avait surpris le monde entier en refusant d’abord de participer à la moindre conférence de presse, avant de décider de quitter prématurément le tournoi. Elle avait ensuite expliqué qu’elle avait “traversé de longues périodes de dépression depuis l’US Open 2018”, le premier de ses quatre titres du Grand Chelem. “Je ne minimiserai jamais la question de la santé mentale, ni ne l’évoquerai à la légère”, écrit la tenniswoman dans un communiqué de presse publié sur ses réseaux sociaux. Son retrait avait également provoqué beaucoup de réactions dans le milieu sportif, de soutiens comme de critiques.

La question de la santé mentale, souvent taboue dans le sport

Pendant longtemps, les sportifs de haut niveau ont gardé leurs maux intérieurs pour eux, les révélant une fois leur carrière terminée. Le nageur australien Ian Thorpe, le cycliste Mark Cavendish ou encore le footballeur Andrés Iniesta : des grands sportifs ont confié avoir souffert de dépression ou d’anxiété au cours de leur carrière.

Mais c’est le nageur américain Michael Phelps, 28 médailles olympiques, dont 23 en or, qui a amorcé la prise en compte de la santé mentale dans le sport de haut niveau, en révélant en 2018, deux ans après sa retraite des bassins, qu’il avait souffert durant sa carrière de dépression, noyé ses anxiétés dans l’alcool ou encore songé au suicide. Il mesure donc la douleur de Simone Biles, des images qui ont “brisé le cœur” de Phelps, a-t-il expliqué sur la chaîne de télévision NBC. “Les JO sont quelque chose qui peuvent vous submerger, il y a beaucoup d’émotions en jeu, je pourrais vous en parler pendant des heures”, a poursuivi l’ancien nageur, reconverti en consultant TV.

“C’est OK parfois de ne pas se sentir OK”

Et même s’il tente depuis des années de sensibiliser les instances et les sportifs eux-mêmes sur l’importance de la prise en charge psychologique, Phelps est conscient qu’il y a encore beaucoup à faire : par les sportifs en premier lieu, comme si révéler leurs faiblesses et fragilités pouvait nuire à leur réputation et leurs performances futures. “Il faut pouvoir demander de l’aide quand on vit des périodes difficiles […] C’est quelque chose que j’ai eu du mal à faire durant ma carrière”, a-t-il confié. “J’espère que ce qu’il s’est passé (avec Simone Biles) va permettre aux gens d’ouvrir les yeux […] Personne n’est parfait, c’est OK parfois de ne pas se sentir OK”, a martelé le sportif le plus titré et médaillé de l’histoire olympique.

Une question encore plus complexe pour les athlètes noirs : la santé mentale est un enjeu encore sous-représenté dans la communauté noire. Selon la psychiatre afro-américaine Christine Crawford, les stigmates remontent à l’esclavage avec la croyance répandue dans la communauté médicale que les esclaves noirs ne pouvaient pas souffrir de dépression avec leur intellect soi-disant inférieur. Suite au retrait de Simone Biles, de nombreuses personnes influentes de la communauté afro-américaine ont ainsi manifesté leur soutien. L’élue Cori Bush a ainsi tweeté : “Je suis avec Simone Biles. Je suis avec Naomi Osaka. Votre santé et votre bien-être ont de l’importance. Vous rappelez aux femmes noires que nous avons le droit de nous occuper de nous.”

La bulle olympique

“La question de la santé mentale a longtemps été sous-estimée comme cause de la contre-performance dans un environnement sportif aussi intense que les JO”, selon Julie-Ann Tullberg, spécialiste de la psychologie dans le sport à l’université Monash en Australie, interrogée par l’AFP. “Désormais, les sportifs veulent parler de cette pression ouvertement et librement”, poursuit-elle.

Dans le contexte particulier d’un monde vivant sous la menace du Covid-19, les sportifs sont aussi plus fragilisés : ils ont été privés pour la plupart de compétition, ont dû s’entraîner seuls de leur côté, leurs proches sont restés à la maison sur décision des autorités nippones pour éviter la propagation du coronavirus au Japon et doivent vivre dans un Village olympique en mode Covid, avec masques obligatoires et interactions limitées. “La bulle du Village olympique a, à mon sens, un gros impact sur les sportifs : ils sont habitués à faire ce qu’ils veulent et à sortir, ils ne peuvent pas à Tokyo”, note Julie-Ann Tullberg.

Le Comité Olympique a réagi au lendemain du retrait de Simone Biles, lui apportant son soutien. “Nous avons tous un énorme respect pour elle et elle a tout notre soutien” a déclaré le porte-parole du CIO. “La santé mentale des athlètes est une question importante depuis quelques années […] Le CIO y travaille depuis un certain temps et a mis en place des outils, des séminaires en ligne”, a-t-il ajouté. En espérant que ce soit suffisant, à dix jours de la fin des Jeux.

Konbini news avec AFP