Témoignage : chère poitrine, tu n’appartiens qu’à moi

Témoignage : chère poitrine, tu n’appartiens qu’à moi

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© Annie Spratt / Unsplash

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Par La Zep

Publié le

J'ai lancé #ChèrePoitrine pour que nous puissions nous réapproprier ce qui nous appartient : nos seins.

C’est un sujet sensible pour moi qui allaite depuis un an et demi. Que j’allaite ou que je sois couverte, je vois bien que ma poitrine est toujours source de regards déplacés. L’allaitement oblige à reconsidérer le rapport qu’on entretient à nos seins, et c’est à travers la réappropriation de ce corps qui a changé que je me suis connectée à toutes ces personnes qui, elles aussi, luttent contre des standards pour aimer leur corps. Il y a un merveilleux lien sorore au-delà du hashtag #ChèrePoitrine.

J’ai lancé ce hashtag car j’ai constaté un besoin de paroles. Ça peut sembler très superficiel et égocentré, mais le sujet de la poitrine, du torse, est éminemment politique. Pour certaines, c’est un véritable calvaire. Elle nous échappe totalement, prend des proportions auxquelles on ne s’attendait pas et ça peut être très violent. La poitrine – visible, non visible, grosse, petite – suscite toujours le regard. Et ce regard nous échappe, nous sexualise. Ce qui revient beaucoup, c’est que les femmes avec des grosses poitrines sont sexualisées et slut shamées très jeunes.

Je n’ai pas une poitrine particulièrement grosse mais j’ai recueilli des témoignages de femmes qui, dès l’école primaire, étaient harcelées par les autres élèves. On les insultait de “salope”, on leur demandait si c’était une vraie poitrine ou si elles faisaient exprès pour se rendre intéressantes. Alors que la taille de la poitrine n’a rien à voir avec une quelconque activité sexuelle et, quand bien même, ça ne justifierait pas le harcèlement sexuel.

Reconquérir sa poitrine, comme si le regard des autres nous prenait quelque chose

La poitrine est souvent au cœur de l’identité des femmes et des minorités de genre. Ne plus avoir de poitrine, c’est, pour certaines femmes, perdre une partie de soi. On le voit notamment avec les témoignages de femmes souffrant d’un cancer. Ou la poitrine fait que les autres nous perçoivent femmes, alors que nous sommes un homme ou une personne non-binaire.

Certaines personnes la subissent ou en font un étendard, mais on remarque souvent qu’il faut passer par une étape de reconquête, comme si le regard des autres nous prenait quelque chose. Moi, je m’entendais bien avec ma poitrine. Elle était dans les normes.

Puis, j’ai allaité. J’étais trempée de lait les premiers mois. J’ai ensuite décidé d’allaiter avec un seul sein, ce qui a provoqué une asymétrie : je fais maintenant un B et un D. J’ai des vergetures, des veines apparentes et mes seins sont accaparés par un bébé, complètement soumis à son appétit. C’est difficile. Même si je les accepte physiquement, ils ne font plus partie de mon identité sensuelle. Ils sont là pour nourrir quelqu’un d’autre et ne m’appartiennent plus vraiment.

Vous connaissez une série ou un film qui banalise l’allaitement ?

Comment construire un rapport sain (sans mauvais jeu de mot) à sa poitrine lorsque cette dernière n’entre pas dans les standards de beauté actuels ? Lorsqu’elle est asymétrique ? Le fait que les poitrines soient prises dans des soutiens-gorge uniformise ce que doit être une poitrine. Très grosse, au point de trouver difficilement une taille de soutien-gorge, elle nous envoie le signal que nous sommes hors normes.

Comment faire lorsqu’on allaite et que personne ne nous explique les changements qui peuvent s’opérer ? Le torse et la poitrine sont souvent au cœur de la perception et de la construction de notre identité quand on est une femme ou quand on appartient à un genre minorisé.

C’est comme une carte d’identité : on nous perçoit tout de suite comme femme, salope, frigide en fonction de sa taille, de sa disposition, de si on porte un soutien-gorge ou pas. Difficile également de construire son rapport à son torse ou à sa poitrine quand on est une personne trans et que peu de représentations permettent de s’identifier dans la culture mainstream.

Sans soutien-gorge, les regards se portent tout de suite sur mes seins. Si j’allaite dans la rue, c’est impudique et dégueulasse. On ne voit même pas mes seins mais certains semblent bien les imaginer. Ils ont juste honte de leurs propres représentations mentales et préfèrent se décharger sur quelqu’un d’autre. Sérieusement, vous connaissez une série ou un film qui banalise l’allaitement ? Dans les scènes familiales, on voit parfois une mère sortir le biberon pour le donner au bébé pendant que l’intrigue continue comme si de rien n’était, mais on voit rarement une femme s’installer dans le canapé, soulever son T-shirt et allaiter son bébé.

#ChèrePoitrine, c’est comme une lettre qu’on écrit pour soi

Je suis très émue de recevoir autant de témoignages. Honnêtement, j’en ai les larmes aux yeux. C’est vraiment beau de voir toutes ces personnes oser parler de leur corps, qu’on fait tout pour cacher. C’est beau aussi de les voir enfin s’identifier à des personnes qui leur ressemblent, se sentir normales et légitimes. Ça me touche énormément.

L’avantage de #ChèrePoitrine, c’est que c’est comme une lettre qu’on écrit pour soi. Mais écrire à soi, c’est aussi se faire la voix des autres qui n’osent pas encore. C’est ça qui est puissant dans ce hashtag. Le fait que des femmes montrent leurs seins ou en parlent sans fard, juste comme ils sont, est profondément positif. On se libère du regard, on exerce le regard.

@Masha Sexplique, 22 ans, blogueuse, Nîmes

Ce témoignage provient des ateliers d’écriture menés par la ZEP (la Zone d’Expression Prioritaire), un média d’accompagnement à l’expression des jeunes de 15 à 25 ans, qui témoignent de leur quotidien comme de toute l’actualité qui les concerne.

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