Témoignage : mineur isolé, ma Play, c’est ma bouée

Témoignage : mineur isolé, ma Play, c’est ma bouée

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© ER Productions Limited/Getty Images

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Par La Zep

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Zach est arrivé en France en 2020. Sur toute sa route depuis le Congo, sa Play l’a accompagné.

Les jeux vidéo ont toujours été pour moi une façon d’être dans mon monde. Au Congo, quand je stressais, je jouais pour m’évader. Je vivais à Lubumbashi, la deuxième ville du pays, avec ma famille. Ma première console était la Nintendo. J’ai découvert les Mario et plein d’autres jeux. En 2010, on a eu la PlayStation 3, puis la 4 en 2016. Les graphiques étaient beaucoup plus beaux et, le plus important, ça a été la découverte de Call of Duty (CoD), puis de Black Ops. C’était un moment très heureux pour moi. Le seul moyen de m’amuser et de m’échapper des cours à l’école.

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En 2018, j’ai dû quitter le Congo à cause d’une tragédie qui est arrivée à ma famille. C’était dangereux pour mes frères et moi. Quand on est rentrés à la maison, on a dû aller se réfugier à l’église, chez le prêtre. Il a jugé bon de nous envoyer chez son ami, en Zambie.

Je ne pensais pas beaucoup à ma situation

On y est restés plus d’une année. On avait accès à la Play 4 et à Internet ! J’ai découvert les jeux en ligne pour la première fois et j’ai pu jouer à CoD en ligne. C’était très difficile… mais j’étais très content. Je ne pensais pas beaucoup à ma situation, seulement lorsqu’il fallait faire les démarches pour mes documents.

Je jouais sur certains serveurs : Asie, Amérique du Nord, Europe. Ce n’est pas la même chose ! Selon l’heure, en Afrique, on ne choisit pas les mêmes. Le matin, c’est mieux, car les gens sont moins forts en Zambie. Alors que, l’après-midi et le soir, je tombais sur de bons joueurs. À ce moment-là, mon quotidien, c’était les jeux vidéo, regarder le sport à la télé et un peu les balades. Pas d’école.

On a quitté la Zambie pour la France début 2020, une fois qu’on a eu tous les documents pour pouvoir voyager en avion en tant que mineurs. On est venus en France avec un ami du monsieur chez qui on vivait en Zambie. Je pensais que c’était pour les études. Je ne posais pas vraiment de questions, j’étais plus content de prendre l’avion pour la France… et je n’avais pas à penser à la tragédie qui nous était arrivée au Congo.

Je n’aurais jamais pensé que j’allais passer autant de temps sans console…

Je me disais que la console, en Europe, ça serait beaucoup mieux : j’aurai accès aux serveurs et à plus de jeux. Je n’aurais jamais pensé que j’allais passer autant de temps sans console… Ça fait un an que je n’ai pas joué à CoD. Alors qu’en Zambie, je passais de nombreuses heures en ligne, depuis que je suis en France, c’est proche de zéro. Quand on est arrivés, on était logés chez une dame et il n’y avait pas de console. On a passé le premier confinement là-bas. Après le confinement, on est allés à la Croix-Rouge pour l’évaluation de la minorité. J’ai mal vécu l’absence de console, je m’ennuyais beaucoup, surtout avant d’être scolarisé… En plus, avec mon frère, on dormait à l’extérieur et c’était difficile pour manger.

Dix jours après, on a reçu une lettre disant on n’était pas considérés comme mineurs. Donc on a dû quitter l’hôtel. On a rencontré l’association Utopia 56, qui nous a récupérés devant la Croix-Rouge. Et là, on a été logés dans des tentes, donc logiquement, il n’y avait pas de Play. Pendant trois ou quatre semaines, on a dormi dedans. Un bénévole d’Utopia nous a logés chez lui quelques jours. Grâce à lui et ses amis, on a pu être logés à droite et à gauche chez des gens. Ça a duré deux mois… Pendant tout ce temps, je n’avais aucun accès à la Play. Ça me manquait beaucoup.

Un bénévole d’Utopia nous a rapporté une PlayStation 4

Alors, à défaut d’avoir une console, j’avais CoD sur le téléphone, bien que les graphismes soient nuls. Je tombais sur des gens qui n’étaient pas bons et il y avait des bots, des personnages automatiques… C’était trop facile. Je me lassais très vite, mais c’était toujours mieux que rien. Ça me rappelait la sensation. Je lisais plus qu’avant, des mangas en anglais : Dragon Ball Z, L’Attaque des Titans, Black Clover. C’était important pour moi d’avoir ça, parce que j’avais besoin de jouer. J’avais juste besoin d’une connexion Internet…

Utopia nous a trouvé un hébergement durable depuis décembre 2020. Et, fin décembre, un bénévole nous a rapporté une PlayStation 4, alors que je ne lui en avais pas parlé – il ne pouvait pas savoir que c’était si important pour moi. J’étais content, mais il n’y avait pas CoD… Une bénévole avait pourtant cherché sur Le Bon Coin.

Comme je ne travaille pas, je ne peux pas avoir d’argent. Et je ne peux pas demander à l’un des bénévoles de payer un jeu car, eux non plus, ils n’ont pas d’argent. Quand j’aurai de l’argent, je me l’achèterai, c’est sûr ! Les jeux vidéo représentent un moment de joie. C’est comme une petite addiction, je dirais. Quand ma mère me manque, aussi. Elle était mère au foyer donc je la voyais plus souvent que mon père, qui était commerçant de produits alimentaires et se déplaçait souvent à travers le pays. Ça me permet de ne pas penser à tout ça…

Zack, 17 ans, lycéen, Paris

Ce témoignage provient des ateliers d’écriture menés par la ZEP (la zone d’expression prioritaire), un média d’accompagnement à l’expression des jeunes de 15 à 25 ans, qui témoignent de leur quotidien comme de toute l’actualité qui les concerne.