Témoignage : violences policières, notre génération ne se laissera plus faire

Témoignage : violences policières, notre génération ne se laissera plus faire

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Toulouse, le 10 juin 2020. © REMY GABALDA / AFP

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Par La Zep

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Le poids des violences policières, dans ma banlieue, je le sens depuis toujours. C'est à ma génération de donner de la voix.

“Je suis une jeune étudiante noire et j’habite en banlieue. Cela fait longtemps que les violences policières existent et je remercie Dieu qu’elles n’aient jamais touché un de mes proches.” J’aurais aimé que mon témoignage s’arrête là.

Mais malheureusement, quand vous habitez en banlieue, c’est assez difficile d’échapper au poids des violences policières : si ce n’est pas vous qui en avez subi, c’est un de vos proches, et si ce n’est pas un de vos proches, c’est un proche de votre proche. En 19 ans d’existence, je ne connais personne dans mon entourage qui ne connaisse de près ou de loin quelqu’un qui ait été victime ou témoin de brutalité policière.

Vous sortez de chez vous et vous croisez votre voisine qui vous annonce que le fils d’untel est mort après avoir croisé la police. Ou vous allez en cours le matin, et le frère de la copine de votre copine est à l’hôpital après une rixe incluant les forces de l’ordre. Vous rentrez chez vous le soir et votre amie vous appelle parce qu’un jeune homme se fait tabasser à la gare, car il n’a pas son ticket… Ce phénomène aussi aurait pu s’arrêter là.

Sauf que ces “incidents” arrivent tellement souvent que lorsque vous allumez vos réseaux sociaux, ce ne sont plus vos proches, mais des inconnus qui vous confient leurs expériences de violences policières, leurs tristesses d’avoir perdu un proche, leurs incompréhensions, leurs colères. Ce sont des vidéos ou des photos que vous voyez. Puis, c’est l’écœurement qui vous prend aux tripes et la réalisation qui vous frappe : ces violences ont lieu sur fond de racisme et d’inégalités socio-économiques. Vous vivez avec, et vous vivrez avec aussi longtemps que vos institutions n’impulseront pas le changement. Mais qui voudrait vivre avec ça ?

Je suis une jeune étudiante noire et j’habite en banlieue. Cela fait 19 ans que les violences policières s’ancrent dans mes réalités. Étonnamment, ce n’est pas très agréable de vivre dans une société où l’impunité d’un meurtre, d’un passage à tabac ou d’une humiliation commise par les forces de l’ordre peut se jouer à votre couleur de peau ou votre classe sociale. C’est un malaise qui pèse sur une partie non négligeable des Français, mais apparemment pas sur notre gouvernement.

Le coup de portière du 18 avril m’a achevée

Avant le confinement, c’était moins facile pour moi de constater à quel point les politiques de la ville étaient désastreuses et à quel point la différence de traitement des populations par la police était inégalitaire. Les violences policières étaient déjà un sujet de profonde indignation qui revenait souvent dans mon entourage. Puis, pendant le confinement, c’est devenu LE sujet de profonde indignation. Aussi régulier qu’une horloge, à tel point que le désespoir de voir les choses changer n’a jamais été aussi élevé pour ma part.

À force d’être littéralement choquée chaque semaine, c’est le coup de portière du 18 avril qui a fini par m’achever. Un jeune homme à moto est grièvement blessé à la jambe à Villeneuve-la-Garenne et cet épisode rejoint la longue série de violences policières ayant eu lieu durant le confinement… J’aurais sincèrement aimé voir tout brûler comme en 2005. Du moins c’est ce que je me suis dit à ce moment-là, où le ras-le-bol et la lassitude ont le plus marqué ma période de confinement. Non pas pour l’effervescence et le terrible sentiment de révolte qu’apportent les flammes, mais surtout pour le court moment de chahut médiatique qui accompagne la fumée.

Vous savez, ces quelques mois durant lesquels de vieux hommes politiques blancs apparaissaient sans cesse à la télévision pour parler de milieux qu’ils ne connaissent pas tout en manifestant un semblant d’intérêt pour le bien commun. Les quelques mois durant lesquels on prétendait tout arranger alors que les mesures prises impactaient autant qu’une fenêtre ouverte un soir d’été. Ces moments de “débat”, mais surtout de monologues du côté de la vérité, aboutissaient néanmoins à des “solutions”. On a mis plus de policiers pour patrouiller dans les banlieues et, au milieu de ces nombreux policiers, on a ajouté encore d’autres fonctionnaires pour patrouiller derrière eux. Puisque, apparemment, la présence des policiers ne suffit pas à apaiser les conflits.

On en a gardé un petit sentiment de bouleversement qui rappelle que le soulèvement est possible, et qui réconforte lorsque de nouveaux crimes d’État ont lieu. Mais ça s’arrête là ; un sentiment de réconfort face à l’impuissance. Même si rien ne s’est vraiment amélioré, au contraire.

Les manifestations du comité Adama ? Une évidence pour moi

Mais tout change par la mobilisation, par l’organisation consciente et maîtrisée. Assa Traoré n’a jamais eu l’ambition de rassembler les foules et les cœurs, seulement celle d’obtenir la justice pour son frère. Mais en se battant pour son frère, elle s’est battue pour tout le monde et la lutte contre les violences policières a pris une tout autre dimension. Ce qui s’est passé le 2 juin et ce qui se passera après aura plus de résonance que tout 2005. Tout simplement parce qu’il n’en restera pas qu’un sentiment de réconfort, mais une réelle fenêtre de tir pour le changement, une grande inspiration.

Pour moi, c’était une évidence d’y aller, d’y participer ; manifester, c’est un des moyens les plus primaires pour s’exprimer. Malgré la maladie, le communiqué du préfet Lallement, le fait qu’il ait fallu se taper les transports, on était des dizaines de milliers à crier de tout notre soûl pour réclamer justice. À la fin, c’était moins ce cri de colère qui m’animait que la satisfaction et l’espérance. Le rassemblement s’était très bien passé et laissait présager qu’on tournait une page dans l’histoire des violences policières et sans doute dans l’histoire de la France tout court.

C’était inédit et ça n’allait pas s’arrêter là. On était tous assez jeunes, parfois même des collégiens. On venait de partout et ça m’a fait chaud au cœur ; je n’ai pas envie que les violences policières n’inquiètent que les banlieusards ou les jeunes racisés. C’est un problème d’État et il doit être traité comme tel. Pour moi, le 2 juin était le signe qu’on représentait une nouvelle génération. Une génération consciente, qui se déconstruit petit à petit et qui ne va plus rien laisser passer.

S’il devient plus probant aujourd’hui qu’une institution aussi honorable et indispensable que celle qu’est la police soit gangrenée par certains maux, nier la chose sous couvert d’idéal républicain n’arrangera rien. C’est une erreur de vouloir respecter l’universalisme républicain en méprisant et niant les réalités d’une partie de ceux qui constituent la France.

Je pense que le chahut médiatique cette fois sera plus rassurant, toujours aussi consternant, mais plus rassurant. Les projectiles ont changé et les jeunes gens visent maintenant les institutions.

Maïmouna, 19 ans, étudiante, Goussainville

Ce témoignage provient des ateliers d’écriture menés par la ZEP (la zone d’expression prioritaire), un média d’accompagnement à l’expression des jeunes de 15 à 25 ans, qui témoignent de leur quotidien comme de toute l’actualité qui les concerne.

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